Descripteurs généraux
Mots-clés formels
Mots-clés iconographie
Titre:
Décoration de Saint-Jean de Cour
Auteur:
Louis Rivier
Date de création:
1914-1915
Description iconographique:

L'église Saint-Jean de Cour à Lausanne a été construite entre 1912 et 1915. Le pasteur Jules Amiguet s’engage à renouveler le culte protestant. Il conçoit, grâce à l’engagement de Louis Rivier, un temple lumineux, décoré et ouvert aux fidèles tous les jours. Louis Rivier répond à ce programme en imaginant avec les architectes René Amiguet et Otto Schmid (spécialisé dans la restauration des monuments historiques) une architecture structurée comme une « basilique paléochrétienne » avec un plafond en bois, un chœur, un portique, des colonnes séparant les nefs latérales de la nef centrale en hémicycle.

L’architecture extérieure de l'église comprend un clocher octogonal décoré par une alternance de bandes vertes et blanches. Un toit en forme de pyramide octogonale, couronné d'une croix et d’un coq, surmonte le clocher. Le porche se caractérise d'un auvent coupé par un pignon triangulaire; il est supporté par quatre colonnes octogonales en pierre du Tessin. Sur les côtés de l’auvent, des cercles peints évoquent le char, objet d’une vision d’Ezéchiel. Sur le fronton, les symboles « alfa » et « oméga » sont une citation du verset de l’Apocalypse : « Je suis le premier et le dernier ». Le tympan est orné d’une Pietà sculptée par Rivier.

A l’intérieur de l'église, deux architraves horizontales sont supportées par deux rangées de quatre colonnes octogonales. Les colonnes divisent l’espace central, mesurant 16 mètres sur 13, en trois parties. La charpente du plafond s’inspire des édifices romains et elle se caractérise par des poutres apparentes. Les encadrements des fenêtres et des portes sont ornés de motifs s'inspirant de la basilique de San Vitale à Ravenne. Pour atteindre l’abside, il faut gravir trois marches, symbolisant la Trinité. (www.saintjean.ch)

Le programme décoratif de l'église Saint-Jean de Cour est un projet collectif élaboré par le pasteur Amiguet en collaboration avec la donatrice Marguerite de Loÿs-Chandieu et Louis Rivier. Ce dernier, en plus de la réalisation des plans architecturaux, conçoit les vitraux ainsi que le mobilier et peint la décoration murale de l’abside.

Celle-ci se réfère au texte biblique de Jean 3.16 : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils afin que quiconque croit en lui ne périsse point. Mais qu’il ait la vie éternelle. ». Ce passage est inscrit dans un phylactère peint dans la partie supérieure de la composition.

L’œuvre s'organise en deux pans horizontaux superposés et est organisée en un triptyque. Louis Rivier représente la Trinité au centre, l’Ancien Testament à gauche et le Nouveau à droite. Le modèle de cette composition se trouve dans L’Agneau Mystique (1432) des frères Van Eyck que Rivier avait admiré à Gand en 1910.

Au centre de la composition, Dieu le père est assis sur un trône en position surélevée grâce à une tribune de quatre marches. Il est habillé d’une ample tunique rouge. Contrairement à l’iconographie classique, il a le visage d’un homme adulte, mais peu âgé et ressemblant au Christ, affirmant ainsi la double nature du Fils. Sa tête penche en avant, ses bras sont levés et soutiennent la croix par l’arrière. Louis Rivier s’inspire de la Trinité de Masaccio, fresque peinte entre 1427 et 1428 dans la basilique de Santa Maria Novella à Florence. Le corps de Jésus est mince et pâle. Ses longs cheveux châtains tombent sur sa poitrine et sa tête est entourée d’une couronne d’épines. Les mains et les pieds sont fixés à la croix par des clous. Le Christ porte un perizonium noué autour des hanches. Au sommet de la croix, est fixée une planche portant l’inscription : Jésus rex iudaeorum (Jésus rois des Juifs).

Au-dessus de leurs têtes, et en position parfaitement frontale, se trouve le symbole du Saint-Esprit : une colombe aux ailes déployées. Ce motif a été ajouté par le peintre en 1942.

Aux pieds du trône, un grand escalier en pierre claire peint en perspective, épouse l’architecture du temple en intégrant trois fenêtres arquées, décorées avec des vitraux colorés (également conçus et réalisés par Rivier). Sur la gauche, entre la première et la deuxième fenêtre, on reconnait saint Jean soutenant la Vierge ; sur la droite, entre la deuxième et la troisième fenêtre, se trouve saint Jean-Baptiste. Le premier est habillé d’une tunique verte et rouge, il a les cheveux longs et l’air jeune. Marie, évanouie dans ses bras, est agenouillée ; elle porte la main gauche au front dans un geste de désespoir et laisse tomber son bras droit vers le sol, effondrée. Elle regarde en direction de son fils crucifié. Elle est habillée d’une tunique bleue et d’une étole marron. A ses pieds se trouve un livre ouvert au « Magnificat » qui se réfère à l’Annonciation.

De l’autre côté, saint Jean-Baptiste est représenté selon l’iconographie traditionnelle : il a un aspect sauvage, il porte de très longs cheveux bouclés et une longue barbe noire ; il est presque nu, habillé d’une cape en poils de chameau et d’une courte tunique en cuir. Il serre un bâton dans les mains. Saint Jean-Baptiste annonce l’arrivée de Jésus : sa figure fait ainsi contrepoint à celle de l’évangéliste qui écrit l’Apocalypse.

Sur les marches supérieures, de nombreux anges sont disposés en rangs ; il s’agit d’anges choristes et musiciens. Leurs bouches sont ouvertes, à la fois pour les chants, mais aussi à cause de la stupéfaction et de la douleur procurées par la vision du Christ en croix. De part et d’autre de la croix, sont représentés neuf anges tenant des lys, sept anges tenant des feuilles de palmier (symbolisant le martyre et la résurrection) et quatre anges assis jouant de la harpe. La fleur de lys est le symbole de la pureté de la Vierge Marie que l’on retrouve dans de nombreuses Annonciations peintes à la Renaissance italienne.

Cette composition de personnages célestes est organisée selon une symétrie affirmée. Toutefois, bien qu’il existe de nombreuses correspondances entre les deux groupes, homogènes et harmonieux entre eux, certains éléments diffèrent. Par exemple, les nuances des couleurs des tuniques, les traits physionomiques, les gestes et les postures des anges. Leurs visages, aux traits stylisées et d’une grande douceur, ainsi que les drapés de leurs vêtements, aux couleurs pastel mais brillantes, sont peints à la manière de Fra Angelico. Le rose, le bleu, le vert, l’orange, le rouge de leurs habits rehaussent la tonalité générale de la partie supérieure de la composition créant un contraste avec la pâleur du corps exsangue du Christ et le beige clair de l’escalier central. De chaque côté de ce dernier, Louis Rivier peint entre vingt et trente personnages de la Bible et de l’histoire universelle.

Sur la droite, se trouvent les personnages de l’Ancien testament. Moïse avec les tables de la loi : il est débout situé à l’extrémité droite, il porte une longue barbe et de longs cheveux blancs, il est habillé d’une ample tunique rouge. Le roi David avec la lyre et la fronde est placé à côté de Moïse, il porte une courte tunique blanche et une étole verte lui couvrant une épaule, son corps est sportif et son visage jeune et délicat. Des prophètes sont en train d’écrire en langue française : Rivier fait ici référence à l’usage des églises protestantes selon lequel la liturgie doit se dérouler dans une langue comprise par tous. Parmi les prophètes, on reconnait : Isaïe (de profil, portant une longue barbe), Ézéchiel (la tête chauve, sans barbe) et Jérémie (barbe et cheveux grisonnants, habillé d’une tunique bleu foncé). Ce dernier est affligé et il est réconforté par un ange qui lui pose une main sur l’épaule en lui indiquant la croix, de l’autre main.

Les personnages adoptent des postures et des gestes variés qui animent la composition. L’œil du spectateur est ainsi captivé par cette vivacité. Une vivacité procurant presque des sensations auditives et motrices. On pense aux cortèges peints par Benozzo Gozzoli au XVe siècle.

Effectivement, le grand silence caractérisant la partie centrale, dominée par la souffrance du Christ en croix, l’affliction de Marie et la gravité de Dieu le Père et des deux saints, est ici rompu. Le bruit est certes discret, mais bien présent : on imagine le frottement des plumes des prophètes sur les pages de leurs livres, le froissement des vêtements, le chuchotement de l’ange et de Jérémie. Les couleurs prépondérantes sont le rose, le rouge et le bleu-vert. Les ombres façonnent les plis des habits générant des stries verticales et tubulaires sur les drapés. Ces lignes se croisent avec celles horizontales produites par les ombres portées des marches centrales.

Sur la gauche, Louis Rivier représente de nombreux personnages du Nouveau Testament, mais aussi de l’histoire. Au premier rang, agenouillés et de profil, se trouvent trois évangélistes : Mathieu, Marc et Luc. Tout en haut, saint Étienne est célébré par un ange qui lui tend la palme du martyre. Ensuite, on reconnait les apôtres Paul, Pierre (posant sa main sur sa joue en signe de remord, son visage affligé est marqué par des profondes rides) et Thomas (ayant une attitude perplexe : il pose sa main sur le menton et ses yeux commencent à s’ouvrir). On identifie d’autres saints : Antoine (portant barbe, cheveux longs et noirs) et Augustin (tenant une plume : il est en train d’écrire ses confessions). On remarque la présence de deux rois (dont Louis IX, roi de France avec l’oriflamme de la croisade) ainsi que celle des réformateurs habillés en noir. On reconnait : Martin Luther, Jean Calvin, Pierre Viret et Alexandre Vinet. Ces deux derniers étaient des théologiens actifs au XIXe siècle dans le canton de Vaud, Alexandre Vinet participant activement à la fondation de l’Église libre. On peut aussi identifier le major et patriote vaudois Davel, habillé en rouge et se trouvant sur la gauche. Juste au-dessous de sa figure, un Africain, un Indien et un Asiatique tenant des livres de prières représentent les « convertis ». Marguerite de Loÿs-Chandieu agenouillée à côté de Vinet est représentée sous les traits de Joséphine Butler, féministe anglaise du XIXe siècle, représentante du christianisme social et femme religieuse très active. La donatrice ne voulait pas être reconnue dans cette peinture.

Ici, les teintes sont plus sombres : cet effet est en partie dû au noir des habits des réformateurs. Le rouge, le bleu et l’ocre rehaussent cette partie et résonnent avec les couleurs des vêtements des trois personnages centraux : Marie, saint Jean et Jean-Baptiste.

Aux pieds des figures situées au premier rang, Louis Rivier peint un terrain marron clair avivé par quelques fleurs.

La coupole de l’abside est peinte avec un fond bleu uni qui symbolise le ciel et qui permet aux silhouettes des anges, ainsi qu’au couple central de se distinguer davantage.

La complexité figurative de cette œuvre est contrebalancée par la clarté du dessin, par la netteté du style pictural et par un symbolisme simple s’inspirant de l’iconographie traditionnelle. Louis Rivier regarde l’art de la Renaissance italienne. Les surfaces colorées sont uniformes mais façonnées grâce à une attention aux volumes et aux ombres ; les contours sont nets et précis ; les expressions faciales sont reconnaissables et facilement interprétables ; les gestes et les postures sont éloquentes. Toutefois, la composition vibre et s’anime grâce à la modulation des teintes, aux attitudes variées des personnages, à la structure symétrique, ni sévère ni rigide. Cette peinture se veut comme une page ouverte sur les grands moments de l’histoire religieuse et universelle que Louis Rivier, en collaboration avec le pasteur Jules Amiguet, a voulu célébrer.

Dès la décoration du temple de Mex en 1909, Louis Rivier impose la figuration dans la décoration des temples protestants. Ainsi, il est un des pionniers du renouveau de la peinture sacrée de son époque. Véritable Gesamtkunstwerk, la réalisation (architecture, sculpture, mobilier, vitraux et peinture murale) de Saint-Jean de Cour en constitue l’expression la plus complète et aboutie. Hétéroclite dans son style, la peinture de l'abside se réfère au hiératisme des mosaïques de Ravenne, à la monumentalité des peintures murales de Giotto, par exemple à Assise et au symbolisme précieux des préraphaélites.

Le thème de la décoration murale de Saint-Jean de Cour sera repris par Louis Rivier en 1949-51 dans le Mystère de la Rédemption, un polyptyque de cinq panneaux, situé actuellement dans le temple d’Yverdon-les-Bains.