Descripteurs généraux
Mots-clés formels
Mots-clés iconographie
Titre:
La Sainte-Cène
Auteur:
Louis Rivier
Date de création:
1931-1932
Description iconographique:

Cette grande peinture murale, située dans la chapelle de Villard à Lausanne construite en 1901-1902 par l’architecte Louis Privat dans la mouvance Heimatstil, résulte d’un petit concours mué en carte blanche donnée à Louis Rivier par l’Eglise libre en juin 1931.

Dans cette Sainte-Cène, les acteurs (sauf Judas absent) sont debout, contrairement à l’iconographie traditionnelle où les apôtres sont généralement assis. Jésus occupe la position centrale, le buste et le visage de face, les jambes cachées par la table nappée. Il semble bénir le calice. Des pains sont disposés sur la table dont un vraisemblablement rompu. L’Eucharistie est en train d’être célébrée.

De part et d’autre du Christ sont disposés les apôtres : cinq sur la gauche et six sur la droite. Ils sont onze au total, et non pas douze. Ce choix trouve peut-être une explication dans un détail représenté par Rivier : une veste est abandonnée sur un banc, au premier plan. S’agit-il de la veste de Judas ? Dans l’iconographie traditionnelle, Judas est présent, mais souvent situé à l’écart.

Il est difficile d’identifier les autres apôtres car Rivier les représente sans attributs spécifiques. Le personnage situé à droite, à côté de Jésus, l’air absorbé, le visage jeune, les longs cheveux châtains, est probablement saint Jean. Celui tout à gauche, les bras croisés, l’air dubitatif, est probablement Thomas.

Les disciples portent des longues capes aux couleurs vives : vert, ocre, rouge, bleu. Ils chaussent des sandales avec des lacets en cuir tressés. Les silhouettes de quatre personnages sont cachées par les autres, de sorte que l’on voit seulement leurs visages.

Bien que variés, leurs expressions et leurs traits physionomiques sont plutôt génériques, tout comme leurs vêtements caractérisés par des drapés à l’effet sculptural. Les gestes sont, quant à eux, plus éloquents : les bras croisés, l’index posé sur la table, une main appuyée sur le ventre, des postures communes tenues par des personnes debout depuis un certain temps.

Trois bancs sont disposés autour de la table. Le banc qui fait face au fidèle est coupé par la présence d’une porte faisant partie de l’architecture du bâtiment. La peinture murale de Rivier s’insère dans l’architecture et épouse, presque exactement, la forme arquée de la paroi. La nef de la chapelle présente une voûte lambrissée, en berceau. Louis Rivier reprend dans sa peinture la voûte arquée en peignant un trompe l’œil augmenté encore par le sol qui paraît prolonger la salle de culte en la surélevant.

Dans cette pièce à l’architecture minimaliste, Rivier peint une grande fenêtre rectangulaire, entourée d’une structure en bois, dont on peut observer fibres et veinures, qui occupe toute la surface de la paroi. L’espace se dilate dans un paysage collinaire. Les reliefs sont surmontés d’un ciel bleu clair traversé par des nuages blancs et vaporeux.

Au centre, Rivier peint un oculus qui répond à celui qui perce la façade d’entrée créant une symétrie à l’intérieur de la salle, nouant ainsi le décor peint à l’architecture de la chapelle. Grâce à cet autre effet de trompe l’œil, l’artiste simule une véritable ouverture dans le mur donnant sur le ciel. Cet oculus fonctionne aussi comme une auréole qui nimbe la figure du Christ d’une aura spirituelle. Le sol, peint en perspective, est couleur rouge brique. La lumière est étale et les rares ombres façonnent les plis des habits.

La Sainte-Cène constitue un sujet figuratif majeur dans l’histoire de la peinture. Certains détails de la version de Rivier rappellent le chef-d’œuvre de Léonard (fresque réalisée entre 1494 et 1498 environ), situé dans le réfectoire de Santa Maria delle Grazie à Milan. On pense notamment à la nappe blanche, au jeu de pieds chaussant des sandales apparaissant sous la table, à la forme des pains. Mais on retrouve encore davantage l’organisation spatiale et, en particulier, la représentation d’un intérieur sobre, peint en perspective, donnant sur un paysage visible grâce à la présence d’une baie (trois fenêtres dans la Cène de Léonard) qui troue la paroi du fond.

L’intérieur représenté par Rivier, avec sa sobriété minimaliste, son élégance épurée, confèrent à la scène un caractère métaphysique : un lieu contemporain, dépouillé, mais en même temps hors du temps. Dave Lüthi rapporte qu’à l’époque de sa création, on apprécie particulièrement les figures «paisibles et grandioses», «’horizon élargi» et les couleurs «douces sans être ternes» qui en font une œuvre de maturité : «comme Fra Angelico, Louis Rivier, est de ceux qui peignent à genoux, spirituellement parlant» (Dave Lüthi, Les chapelles de l’Église libre vaudoise. Histoire architecturale 1847-1965, 2000, p. 178). La Sainte-Cène de Rivier se charge d’une connotation spirituelle au sens large du terme : elle signifie une rencontre, un rituel, une prière.