Jérémie est le second grand prophète de l’Ancien Testament, aux côtés d’Esaïe, d’Ezechiel et de Daniel. En position mi-allongée, le dos appuyé contre un muret de pierres, bras et coudes posés sur les rebords et jambes pliées, il est représenté en plan rapproché, occupe la quasi-totalité de l’espace. Grâce à ce cadrage « serré » la proximité du personnage avec le spectateur est accentuée. Le sommet de la tête effleure le bord supérieur ; les pieds sont hors cadre, tout comme son coude droit. Jérémie pose la main droite sur un feuillet dont on perçoit des traces d’écriture. On y lit : JERE. Presque de face, le visage légèrement orienté de trois-quarts vers la droite, il a les lèvres entrouvertes. Louis Rivier le représente comme un très vieil homme portant une longue barbe blanche à l’aspect cotonneux. La bouche dessine une courbe inclinée vers le bas. Des cernes alourdissent son regard. Tout, dans son visage, exprime une grande lassitude. La posture de son corps, mollement calé dans la courbe du muret, transmet la même impression de fatigue.
Le prophète est habillé d’une veste en fourrure brun clair qui recouvre une chemise blanche. Au-dessous de celle-ci, on voit le bord des manches d’un pull-over rouge délavé. C’est un détail vestimentaire qui se retrouve dans le tableau de saint Jean à Patmos réalisé en 1946. Une longue tunique vert amande recouvre le buste et les jambes. Jérémie est coiffé d’un turban blanc, enroulé et noué d’une manière négligée. Ces habits naissent de l’imagination de Rivier et sont un pastiche de modes et d’époques différentes : le pull-over, par exemple, appartient à une époque récente. Le turban se réfère à l’Orient.
Le muret de pierre reflète, lui-aussi, le sentiment d’abandon que la figure du prophète (au travers de son expression, de sa posture et de ses habits) dégage. Il est traversé d’une grande fente qui le sépare en deux blocs dont un chute.
Le paysage à l’arrière-plan est dominé par une montagne gris anthracite derrière laquelle se chevauchent de hauts sommets plus clairs, aussi minéraux. Un ciel tantôt clair tantôt sombre perce à gauche et à droite. Le paysage, mélancolique, dénudé, sans végétation, résonne avec l’attitude lasse, du personnage. Jérémie est le prophète des « lamentations ».
Visage et mains sont d’un grand réalisme : le peintre atteint des résultats magistraux dans le rendu de la carnation. Les habits, quant à eux, procurent un effet sculptural. Cela est dû aux formes tubulaires générées par le drapé, mais aussi à la manière, très construite d’en souligner les volumes. Les ombres sont discrètes et façonnent les plis des habits. On ne remarque pas la présence d’ombres portées.
Dans ce tableau, Louis Rivier valorise la psychologique du personnage et met en retrait les aspects narratifs. L’acte de l’écriture, par exemple, est seulement mentionné : la feuille est à peine visible et on ne peut pas lire ce qui est écrit. Le peintre semble représenter la fin d’une mission, colorée d’amertume et de peine. Louis Rivier ne fait-il pas ressentir aussi son état d'âme du moment, en ce début des années 1950 ?
Il existe plusieurs représentations de ce personnage biblique. Le peintre avait réalisé en 1947 une version qui lui valut un prix au Salon de la Société nationale des Beaux-Arts en 1947. Dans la version de 1952, il accentue encore la lassitude des traits et l’expression du visage. Dario Gamboni reconnaît dans la figure de Jérémie, les traits marqués de Louis Rivier âgé.
Bon état
Le « procédé spécial » est une technique personnelle élaborée par Louis Rivier. Le peintre se sert principalement de crayons de couleur, craies, diluants et gommes. Richard Heyd, biographe officiel de Louis Rivier, décrit ainsi sa méthode : « [Il] enroule autour de son doigt un chiffon au moyen duquel il fait disparaitre entièrement les traits de crayons ; la matière gagnera ainsi en homogénéité et son éclat deviendra comparable à celui de la peinture sur émail » (Richard Heyd, Rivier, p. 156). Dès 1938, Louis Rivier en fera sa technique privilégiée.
Commentaire sur le lieu et la datation En 1952, Francesco Sapori, historien d’art italien, organise une exposition personnelle des œuvres de Louis Rivier à Rome dans la Sala Traspontina du 24 mai au 12 juin. Le peintre participe au Salon au Grand-Palais à Paris. Entre 1946 et 1949, il réalise plusieurs compositions religieuses figurant des prophètes. Les similitudes formelles avec la représentation du prophète Esaïe sont nombreuses de sorte qu’on pourrait les considérer toutes comme faisant partie de la même « série ».
- Fiche 104 - Le prophète Esaïe
- Fiche 103 - Saint Jean à Patmos
- Fiche 248 - Le patriarche Isaac
- Fiche 246 - Le patriarche Abraham
- Fiche 357 - Le Prophète Ezéchiel
- Fiche 359 - Le Prophète Elie fuit la colère de Jézabel
- Site de l'Association des Amis de Louis Rivier www.art-louisrivier.ch