Ce tableau est un portrait en buste de Philippe Bridel (Lausanne, 1852 – 1936) théologien, pasteur de l’Eglise libre, et spécialiste de la pensée d’Alexandre Vinet. Réalisé un an avant la mort de Bridel, ce portrait montre un homme âgé, l’expression austère, assis à son bureau et entouré de livres.
Philippe Bridel se tient derrière une table, buste et visage orientés de trois-quarts. Le regard s’adresse directement au spectateur. Le pasteur est habillé d’une veste noire au col ample et souple. On entrevoit les poignets et le col triangulaire d’une chemise blanche. Une cravate bleu marine est nouée autour de son cou. Le pasteur porte une alliance à l’annulaire gauche. Ses lèvres entrouvertes s’étirent légèrement sur les côtés. Ses sourcils se froncent imperceptiblement et des rides se forment sur son front. L’homme a les cheveux gris et il porte une barbe, grise également. Son nez droit est prononcé. Son regard est direct, présent et en même temps comme absorbé par une pensée. Philippe Bridel semble avoir été surpris lors d’un moment de réflexion. Comme s’il s’agissait d’un portrait photographique, Rivier capture cet instant. La posture de l’homme accentue cette impression : la main gauche serre un stylo, l’index se pose sur une feuille blanche écrite. Le coude gauche maintient un livre ouvert, comme si le théologien s’inspirait d’un passage de cet ouvrage. Le texte est posé sur un deuxième volume qui, fermé, sert à surélever le premier. Sur la table, on remarque aussi la présence d’un étui rectangulaire noir contenant des stylos dont un rouge vif. Le bureau est tourné de biais. Le bras droit de Bridel se trouve hors champ. Ce point de vue et le cadrage de type photographique, amplifient l’effet de proximité avec le spectateur.
La silhouette de Philippe Bridel émerge d’un fond neutre bleu foncé. Les nuances de noir dominent cette composition, en accord avec la sobriété et l’austérité du personnage représenté. Le rouge (de la table, de la couverture du livre et du stylo) et le blanc (de la chemise, des feuilles et des pages des livres) font éclater la sobre palette chromatique.
Ce portrait est d’un grand réalisme, quasi hyperréaliste, atteignant des résultats presque photographiques dans le rendu de la carnation. On distingue chaque poil de la barbe et des sourcils ainsi que chaque cheveu. La peau, à la fois lisse et rugueuse, est légèrement mate car éclairée d’une lumière chaude. On remarque la présence d’une ombre portée, celle du livre ouvert. D’autres ombres façonnent les plis de la veste en mettant en valeur la qualité du tissu.
Le regard de Bridel est pénétrant ; il scrute le spectateur, mais sa pensée court plus loin. Quelque chose de sa personnalité nous échappe, dissimulée derrière cette apparente sévérité. La pose, l’attitude, l’expression du théologien, servent à Rivier pour enquêter, et pour traduire dans un langage plastique, le caractère psychologique et la personnalité du personnage représenté. Louis Rivier plonge le spectateur dans le bureau du penseur, comme un intrus se rapprochant d’un homme réservé, absorbé par ses écrits et par ses lectures. On peut lire en filigrane une référence au sujet iconographique traditionnel du Saint Gérôme dans son cabinet entouré de ses objets d'étude. Ceux-ci deviennent, dans ce portrait également, des véritables emblèmes.
Bon état.
Technique complète de ce tableau: tempera à l'oeuf avec rehauts de pastel.
Louis Rivier adopte la détrempe dès 1906 jusqu’à la fin des années 1930. La détrempe est une technique traditionnelle de la Renaissance italienne (tempera all’uovo). « La tempera à l’œuf italienne était l’héritière directe de la tradition byzantine […]. Le nombre de tableaux peints à tempera est considérable […]. Elle est pourtant tombée en désuétude au cours des XVIe - XVIIe siècles. ». (François Perego. 2005. Dictionnaire des matériaux du peintre, Paris : Ed. Belin, p. 706).
La recette de Rivier, mise au point par Théophile Robert, comporte du jaune d’œuf, de la résine d’Avar ou copal, de l’huile de noix pure, du vinaigre blanc et de l’eau. (Dario Gamboni. Louis Rivier (1885-1963) et la peinture religieuse en Suisse Romande, p. 97).
Au cours de sa carrière, Louis Rivier rencontre plusieurs difficultés quant à l’emploi de la détrempe. Ces obstacles l’amènent à abandonner momentanément cette technique au profit de l’huile. Mais, « […] après quelques années de tentatives obstinées, il finit par maîtriser la détrempe à tel point qu’il put l’utiliser pour ses paysages aussi bien que pour ses portraits, et pour d’autres compositions. » (Francesco Sapori. Louis Rivier, p. 38).
En 1938-39, Rivier invente, à partir de dessins aux crayons de couleurs, le « procédé spécial », technique qu’il emploiera pour presque toutes ses œuvres même en grand format et réalisées pour des décorations murales. Une exception notoire est la décoration de l’Église orthodoxe grecque de Lausanne qui a été réalisée entièrement à la détrempe, et cela sur une durée de plus de 15 années, jusqu’en 1940.
En 1935, Louis Rivier peint l’Autoportrait au compas. Il poursuit la collaboration avec Nestlé SA en dessinant des planches publicitaires pour le lait en poudre. La publication des premiers dessins dans L’Illustration est interrompue suite à des protestations. Rivier quitte ses fonctions.