Numéro d'inventaire: 1985-029
La signature est accompagnée de la date de création: 1930.
Il s’agit d’un portrait en plan rapproché de Béatrice Cérésole devant un paysage lacustre. Le visage de la jeune femme est orienté légèrement de trois-quarts. Ses yeux sourient au spectateur et semblent manifester une pointe de malice. Elle instaure ainsi une complicité avec le peintre que l’on imagine devant elle. Ses lèvres rouges sont charnues. Ses joues captivent l’attention grâce à leur teinte rosée. Les oreilles sont cachées par les cheveux blonds foncés, coupés au carré et partagés par une raie. La chevelure soyeuse et ondulée est coiffée en deux boucles enroulées sur les oreilles. Ce géométrisme, accentué par la raie, confère à la chevelure un air sculptural, à la fois antique et moderne.
Le visage de la jeune femme est lumineux et sa forme ovale d’une grande délicatesse. Son cou, long et nu, dessine une courbe sinueuse avec l’épaule droite. Le décolleté met en valeur la forme de l’épaule, tombante et quasi maniériste. Louis Rivier semble accentuer cette caractéristique de la jeune femme pour idéaliser sa beauté : on pense en particulier à la Vierge au long cou de Parmigianino (1534, Offices).
Béatrice Cérésole porte un vêtement rouge sans manches. Ses bras sont couverts par une étole de fourrure noire qui descend sur le devant en lui découvrant légèrement l’épaule droite. La figure de la jeune femme, en position centrale, se découpe sur un paysage lacustre et montagneux : on reconnaît le Léman et les montagnes de la Savoie française. Les reliefs, le lac et le ciel, traversé par un nuage, surgissent grâce à un jeu de dégradé et de nuances de bleu-gris. Cette couleur résonne avec le bleu azur des yeux, au regard magnétique. Contrairement à la plupart des paysages figurant à l’arrière-plan des portraits réalisés par Rivier, caractérisés par des cieux bleu clair et par du beau temps, celui-ci dépeint plutôt une ambiance lourde, comme si un orage s’annonçait. Une brume voile l’air et patine les reliefs d’une teinte bleutée. La lumière est étale, les ombres portées (du menton sur le cou, des cheveux sur les joues) sont presque imperceptibles.
Le paysage, ici « atmosphérique » confère à Béatrice Cérésole une apparence presque « fantomatique », voire irréelle. Cette impression est toutefois contrebalancée par le réalisme du rendu de son visage. Cheveux, yeux, lèvres et sourcils sont peints avec minutie. L’incarnat, en particulier, procure un effet photographique : on remarque le pli du cou, les rides se formant à côté de la bouche, celles entourant les yeux plissés, les ombres sur la poitrine.
La composition vibre grâce au croisement de plusieurs types de lignes : les courbes de la silhouette de la jeune femme rencontrent l’horizontale traçant la rive du lac, ainsi que les diagonales des pentes et du nuage traversant le ciel. Une ligne verticale, définie par la raie de la chevelure, tend à diviser la composition en deux parties symétriques.
La palette chromatique est sourde, dominée par le noir, le gris, les bleus et le rouge. Le peintre choisit des nuances poudrées et atténuées pour chaque couleur qui s’amalgame et se fonde l’une dans l’autre, y compris le rouge qui semble ici partager la même nature « froide » que les autres teintes.
Cette toile de petit format est un tableau intime : règne un grand silence, un certain mystère et une sensation de paix intérieure que le sourire de Béatrice, discret mais assuré, laisse survenir.
Traces d'humidité. Surface piquée.
Louis Rivier adopte la détrempe dès 1906 jusqu’à la fin des années 1930. La détrempe est une technique traditionnelle de la Renaissance italienne (tempera all’uovo). « La tempera à l’œuf italienne était l’héritière directe de la tradition byzantine […]. Le nombre de tableaux peints à tempera est considérable […]. Elle est pourtant tombée en désuétude au cours des XVIe - XVIIe siècles. ». (François Perego. 2005. Dictionnaire des matériaux du peintre, Paris : Ed. Belin, p. 706).
La recette de Rivier, mise au point par Théophile Robert, comporte du jaune d’œuf, de la résine d’Avar ou copal, de l’huile de noix pure, du vinaigre blanc et de l’eau. (Dario Gamboni, Louis Rivier (1885-1963) et la peinture religieuse en Suisse Romande, p. 97).
Au cours de sa carrière, Louis Rivier rencontre plusieurs difficultés quant à l’emploi de la détrempe. Ces obstacles l’amènent à abandonner momentanément cette technique au profit de l’huile. Mais, « […] après quelques années de tentatives obstinées, il finit par maîtriser la détrempe à tel point qu’il put l’utiliser pour ses paysages aussi bien que pour ses portraits, et pour d’autres compositions. » (Francesco Sapori, Louis Rivier, p. 38).
En 1938-39, Rivier invente, à partir de dessins aux crayons de couleurs, le « procédé spécial », technique qu’il emploiera pour presque toutes ses œuvres même en grand format et réalisées pour des décorations murales. Une exception notoire est la décoration de l’Église orthodoxe grecque de Lausanne qui a été réalisée entièrement à la détrempe, et cela sur une durée de plus de 15 années, jusqu’en 1940.
En 1930, Louis Rivier séjourne avec Julie en Toscane, à Florence et à Sienne. Il réalise dix-sept vitraux de la Cathédrale dont six en collaboration avec François de Ribaupierre. Il expose dans la Onzième exposition de la section vaudoise de la SPSAS, à la Grenette à Lausanne, du 12 avril au 4 mai. Il participe au Salon de la Nationale à Paris.