Descripteurs généraux
Mots-clés formels
Mots-clés iconographie
échelle
Titre:
Avant la Descente de Croix
Auteur:
Louis Rivier
Date de création:
1954
Description iconographique:

Il s’agit d’un triptyque à caractère religieux inspiré du thème de la Descente de croix.

Trois scènes constituent cette grande composition horizontale : la croix est au centre avec, à ses pieds, la Vierge accablée ; à gauche, la foule des fidèles et, à droite, les transporteurs munis d’une grande échelle et d’un linceul. La traverse verticale de la croix coïncide avec l’axe central du triptyque et orchestre les personnages disposés tout autour.

Le corps du Christ est presque complètement hors-champ. Seuls les parties inférieures de ses jambes et ses pieds nus sont visibles. Au pied de la croix, des pierres grises s’amoncellent. Marie est assise, le dos contre la croix, le visage de trois-quarts, les bras croisés posés sur le ventre. Elle regarde dans le vide, l’air résigné. Elle porte une guimpe blanche et une robe bleu foncé. Un homme, que l’on peut identifier comme saint Jean, tourné de dos, le visage de profil, lui tend un bras et tente de la consoler. Il est habillé d’une tunique ocre avec une capuche, il chausse des sandales aux lacets croisés. A ses côtés, on voit Nicodème, en partie chauve, habillé d’une longue veste marron clair avec un col de fourrure. Il tient un chapeau dans sa main droite et regarde en direction de la croix. Le consolateur de la Vierge lui touche le bras, comme pour attirer son attention.

Sur le panneau de droite, se tiennent plusieurs personnages, dont deux jeunes femmes, un garçon en pantalons courts et un homme accroupi portant une veste noire. Ils s’apprêtent à accueillir le corps de Jésus en déployant le linceul. Les deux figures féminines, dont une accroupie à la peau noire et l’autre débout aux cheveux blonds, symbolisent la présence des saintes Femmes, représentées notamment dans La Descente de Croix de 1940. L’homme accroupi, situé dans le coin inférieur de la composition, a les traits de l’artiste lui-même. Cet autoportrait singulier est une référence à la grande peinture du Quattrocento italien. Il s’agit d’un clin d’œil aux autoportraits des maîtres dissimulés dans de célèbres compositions comme Sandro Botticelli dans l’Adoration des Mages, conservée à la Galerie des Offices (1475 env).

Au second plan, d’autres personnages se tiennent débout. De gauche à droite : une jeune femme maintient l’échelle qui sera dressée pour libérer le corps de la croix ; un centurion à cheval, probablement celui ayant percé le flanc du Christ, s’apprête à partir et tourne une dernière fois son regard en direction de la scène ; Joseph d’Arimathie, les mains croisées, habillé d’une cape en fourrure, regarde en direction de la croix ; deux femmes discutent entre elles ; d’autres femmes s’approchent.

Sur le panneau de gauche, Rivier représente la foule contenue par trois centurions dont un habillé en bleu et deux en rouge. Ils tendent une corde pour empêcher les gens de passer. Les gestes des fidèles manifestent de la stupeur, de l’incrédulité, de la curiosité et même de l’excitation. La foule est très diversifiée. Une jeune femme vêtue de blanc se tient à côté d’un mendiant aux habits sales et en loques. Ce rapprochement peut-il signifier que la mort du Christ touche tout le monde, sans exceptions de classe sociale et d’âge ? Certains personnages portent des habits modernes, contemporains de Rivier. On remarque en particulier la jupe blanche typique des années 1950 portée par la jeune femme ainsi que le pull vert à col roulé du jeune homme aux cheveux roux, fumant une cigarette. La tenue du garçon aux pantalons courts tenant le linceul est aussi moderne.

Ces anachronismes volontaires sont typiques de certaines compositions religieuses de Louis Rivier, animées par des fréquents allers-retours entre les époques et dans les régions géographiques. On pense par exemple au Prophète Jérémie (1947) et à Saint Jean à Patmos (1946) où l’on retrouve notamment le détail du pull-over, dissimulé sous des tuniques et des châles intemporels.

Le spectateur est captivé par ces éléments « dissonants » et l’évènement religieux, ainsi actualisé, se colore de nouvelles significations. La richesse des détails et des situations transforme cet épisode biblique en une scène de vie agitée, aux notes dramatiques et d’une grande théâtralité. Les aspects pratiques et techniques, mais aussi narratifs, dominent les deux panneaux latéraux. Le panneau central se focalise, quant à lui, sur la désolation de la Vierge et sur l’humanité du geste de saint Jean.

Le corps du Christ se situe au centre de la composition : sa discrétion est pourtant d’une grande présence puisque la plupart des regards, comme magnétisés, se tournent vers lui.

Cette manière particulière de structurer l’œuvre trouve aussi son origine dans un repentir et dans une suite de modifications apportées par Louis Rivier aux panneaux du centre et de gauche qui, au départ, incluaient le corps entier de Jésus. La partie supérieure du panneau central a été conservée et encadrée par le peintre. Elle est intitulée Le Christ en croix, et montre le corps de Jésus visible jusqu’aux genoux : ce tableau s’arrête là où le triptyque Avant la descente de Croix commence.

Une illustration publiée dans l’ouvrage de Dario Gamboni, Louis Rivier (1885-1963) et la peinture religieuse en Suisse Romande (1985, p. 2), nous donne une idée du triptyque en 1954 avant le découpage et les modifications des panneaux. Cette version montre également la partie supérieure du corps du Christ en croix.

Les tonalités de beige, ocre, marron et gris prévalent, rehaussées par plusieurs éclats de bleu, rose, saumon, rouge, bordeaux, vert pistache, ainsi que par la luminosité du blanc.

Le panneau de gauche et celui du centre sont rythmés par les lignes verticales, qui se lisent dans les corps des figures formant la foule. Le pilier de la croix souligne cette verticalité. La partie de droite est, quant à elle, mouvementée par les diagonales dont la plus visible coïncide avec l’échelle. Transporteurs et fidèles sont aussi comme bousculés par une légère impulsion qui les fait pencher en direction oblique.

Le paysage collinaire à l’arrière-plan, aux teintes bleutées, est peint en perspective aérienne. La végétation est vert foncé. Une étendue bleu clair, un lac probablement, s’étend à l’arrière-plan du panneau central. Le ciel, voilé par une brume orangée, est typique d’une fin de journée. Une lumière, étale, douce et rosée, enveloppe la scène.

Le fourmillement de voix et de bruits, que l’on a l’impression d’entendre (les centurions qui contiennent la foule, les cris s’élevant de celle-ci, les manœuvres des transporteurs, les lamentations des fidèles) contraste avec le silence et l’immobilité du corps mort de Jésus. Comme dans La Descente de Croix de 1940, le peintre réalise le même type d’antithèse figurative en mettant en corrélation le bruit et le silence, la vie et la mort.