Descripteurs généraux
Mots-clés formels
Mots-clés iconographie
port
Titre:
Saint Luc peignant la Vierge
Auteur:
Louis Rivier
Date de création:
1947
Description iconographique:

Dans ce tableau allégorique, Louis Rivier représente saint Luc peignant la Vierge. Saint Luc est considéré comme le saint patron des artistes, des peintres en particulier, et comme le premier portraitiste de Marie. Louis Rivier situe la scène sous une loggia. Au premier plan, il représente Marie portant Jésus dans ses bras et posant devant le saint. Marie regarde son enfant, posé sur son buste comme un blason ou une statue, et baisse les yeux qui semblent alors fermés. Elle est habillée d’une somptueuse veste bordeaux en fourrure. La manche droite est très ample et bordée de gris tout comme le col de l’habit. Un foulard épais, rouge doublé de blanc et bordé de fourrure grise lui couvre la tête, attaché autour du cou par un lacet. Les traits de son visage sont délicats et élégants. Marie porte une jupe bleu foncé.

L’Enfant est habillé d’une très longue tunique blanche. Il regarde devant lui, en direction de saint Luc ; il a un visage d’adulte. On connait la capacité de Louis Rivier à représenter les enfants : leurs attitudes et leurs expressions sont toujours spécifiques, enfantines, dégageant candeur et délicatesse. Ici le peintre s’inspire davantage de la peinture ancienne, dans laquelle les enfants, et Jésus en particulier, sont représentés comme des adultes en miniature.

L’Enfant bénit le saint. Celui-ci regarde en direction du couple mais est comme absorbé par une pensée qui rend son regard plus introspectif qu’observateur. Son bras droit se soulève et sa main tient délicatement un pinceau. Son bras gauche sort du cadre alors que la main aux doigts effilés y entre, tenant la palette de couleurs.

Saint Luc est habillé d’une veste foncée, bordée de fourrure grise. Ses cheveux et sa barbe, d’un grand réalisme, sont courts et gris. Sa main gauche se pose, grâce au petit doigt, sur un livre enluminé, ouvert sur une double page manuscrite. Le livre repose sur un support en bois, déposé à son tour sur une petite table verte. Un verre d’eau se trouve sur la gauche.

Saint Luc porte une bague à son annulaire gauche, il s’agit d’une alliance. C’est un élément curieux pour un saint. Cependant, dans ce portrait, on reconnait les traits de William Rivier, père du peintre et pasteur. Le col noir échancré de blanc de son vêtement, d’ailleurs, se réfère à l’habit des ministres protestants.

Les têtes de la Vierge et de l’Enfant sont couronnées par la première des trois arcades de la loggia, celle de saint Luc par la troisième. L’arcade centrale ouvre sur l’effervescence d’une ville au bord de l’eau. Ce paysage est annoncé par un plan intermédiaire : grâce à un sol en marbre aux motifs géométriques, Louis Rivier rend la profondeur de l’espace de la loggia, caractérisé par plusieurs étages. Le motif du sol sur lequel les pieds de Marie et saint Luc se posent est effectivement interrompu par des marches au-dessous desquelles on aperçoit un sol à grands carreaux. Un religieux habillé de rouge et de blanc est en train de monter les escaliers. Grace à une seconde astuce illusionniste, Louis Rivier suggère la présence d’un autre escalier entre les colonnes et la terrasse externe à la loggia : il peint une figure de dos, assise sur des marches que le spectateur ne peut voir.

Sur la terrasse, contre un parapet en pierre, un couple et un enfant se tiennent débout. Derrière eux, Louis Rivier peint avec méticulosité le port, les bateaux, les habitations, l’église et le château au loin, sur une colline. La perspective ouvre sur le lointain où se profilent des montagnes.

La tonalité chromatique du tableau est un camaïeu de couleurs chaudes et estompées. Cet effet est favorisé par la technique employée, le « procédé spécial » permettant de fondre les couleurs en créant des nuances subtiles et des dégradés délicats. Une lumière dorée et rosée baigne la composition dont la structure est symétrique, géométrie favorisée par le motif des arcades de la loggia et la disposition des personnages.

La ville représentée est un agencement hybride fait d’éléments prélevés dans le réel et remanié par l’imagination. Par exemple, l’église gothique fait penser à la cathédrale de Chartres, monument très admiré de Rivier. Mais dans la réalité, les deux flèches ne sont pas identiques comme dans le tableau. Les façades des maisons s’inspirent du style flamand, mais aussi italien.

Le paysage situé à l’arrière-plan d’une scène religieuse évoque les Madones du peintre vénitien Giovanni Bellini. La loggia se retrouve dans bon nombre de peintures de la Renaissance italienne mais la référence la plus directe (Vierge Marie, Enfant Jésus, loggia, parapet et paysage) est sans conteste La Vierge du Chancelier Rolin de Jan van Eyck. L’attention portée au rendu des riches matières comme les tissus somptueux des vêtements rappelle la peinture flamande.

Cette œuvre de Rivier manifeste une synthèse iconographique car elle réunit les thèmes et les sources d’inspiration chers au peintre. On y retrouve en même temps Venise et Bruges, la Renaissance italienne et la peinture flamande. Le peintre semble vouloir concentrer aussi dans ce tableau de nombreux éléments montrant son habilité technique : il peint avec un grand réalisme un verre d’eau transparent (c'est une nature morte), un livre illustré, deux portraits, un paysage portuaire, une ample perspective, de riches vêtements bordés de fourrure, un sol à motifs géométriques.

Ce tableau fait figure d’hommage à la peinture et aux artistes par l’intermédiaire de leur saint patron représenté sous l’effigie paternelle, protectrice et éclairée. A ce propos, on sait que ce dernier a toujours encouragé la démarche artistique de son fils en lui permettant d’étudier l’art et en lui faisant construire son premier atelier, à Jouxtens. La scène religieuse permet à Louis Rivier de déployer son talent en une composition complexe, riche d’allusions mais aussi de créativité.

Ce tableau important est mentionné dans la liste des œuvres exposées à Rome, en 1952 : Mostra di Louis Rivier, Libera signoria delle arti e Legazione di Svizzera in Italia, Roma, Sala Traspontina, 24 maggio – 12 giugno 1952.